Crevette, un plaisir au goût amer !

Jeune pêcheur de crevettes dans la lagune de Maracaïbo (Venezuela - juin 1990)
sur fond de fermes d'élevage de crevettes...

« La crevette est perçue comme un produit convivial, bon pour la santé... de plaisir partagé ainsi qu’un arrière-plan de vacances et d’exotisme », selon une étude récente de FranceAgriMer : Le marché de la crevette en France (a)... La crevette tropicale fait partie des produits de la pêche et de l'aquaculture les plus appréciés dans notre pays... Un plaisir qui n'est pas toujours partagé avec les populations confrontées au développement des élevages de crevettes comme en Equateur, en Inde et ailleurs... Peu importe ! Que pèsent ces populations démunies face à un marché très lucratif de plusieurs milliards de dollars dans les pays du Nord... un marché de la crevette cuite de plus de 600 millions d'euros en France et contrôlé par une poignée d'entreprises, une dizaine de cuiseurs importateurs de crevettes tropicales !

Suite à l'enquête d'Oxfam sur la chaîne d'approvisionnement de la crevette publiée le 21 juin 2018 "Derrière le code-barre : des inégalités en chaînes", lire : Les distributeurs affament les travailleurs de la crevette !

Droit de réponse à l'article : Crevette tropicale : "Un recul constructif..." de Jean-François Le Bitoux 

Avant leur cuisson, Litopenaeus vannamei (gauche) et Penaeus monodon (droite), les deux espèces de crevette tropicale les plus élevées dans le monde sont très différentes ! Litopenaeus vannamei, la crevette à pattes blanches, également connue sous les noms de crevette blanche du Pacifique, Pacific white shrimp ou King prawn, est endémique de la côte Pacifique de l'Amérique latine, alors que Penaeus monodon, la crevette géante tigrée également connue sous le nom de Black Tiger est endémique de l'océan Indien et de l'Asie du Sud-Est... (photos wikipedia - intrafish)

Les crevettes tiennent une place de choix sur les étals des poissonneries... Affichées à des prix défiant toute concurrence, les crevettes tropicales (genre Penaeus) ont conquis 90% du marché de la crevette en France. De consommation courante, elles font partie des produits d'appel pour attirer les clients dans le rayon poissonnerie des grandes surfaces et elles laissent peu de place aux autres crustacés, de qualité et de la pêche locale (crevette grise, crevette blanche, bouquet, crevette impériale des marais charentais et autre langoustine)... Pourtant, depuis 2010, la consommation des crevettes tropicales tend à se tasser alors que dans le même temps la facture est toujours plus salée à l'importation avec la flambée des cours mondiaux. (Saumon et crevette tropicale creusent de plus en plus le déficit de la balance commerciale française qui atteint les 4 milliards d'euros pour les produits aquatiques...) Qu'à cela ne tienne ! Les cuiseurs français de crevette, intermédiaires majeurs et incontournables de la filière -une dizaine de sociétés qui importe les crevettes tropicales crues congelées pour les cuire avant leur commercialisation dans les poissonneries, se partage le marché « lucratif » de la crevette tropicale en France- veulent inverser la tendance de la consommation qui s'essouffle en France... Comment relancer la consommation, faire revenir les consommateurs français vers cette crevette tropicale qui garde une bonne image... C'est l'objet de l'étude commandée par FranceAgriMer et rendue public en septembre 2017 (a)....

Les importations françaises de crevette tropicale (genre Penaeus) s’élèvent 650 millions d’euros en 2017 en croissance de 35 % depuis 2011, pour un volume constant autour de 85 000 tonnes chaque année. L'Équateur est le 1er fournisseur avec 37 % du volume en 2017, (bonne intégration des exigences de qualité des importateurs français qui destinent les produits à la cuisson), suivi de l'Inde (prix et qualité) et de Madagascar... Toutes espèces et toutes origines confondues, la France importe un peu plus de 100 000 tonnes de crevettes dont 10 % de crevettes nordiques (incluant 5 % de crevettes nordiques congelées, 5 % de crevettes en saumure ou grises cuites réfrigérées), 85 % de Penaeus congelées et 5 % d’autres crevettes hors eau froide.

Cette relance de la consommation vient en porte-à-faux avec les recommandations d'associations (b) et de scientifiques (c)... Lors des Etats Généraux de l'Alimentation (EGA), le WWF a invité les français à manger moins de produits de la mer et à les choisir plus durables : "Alimentation : les écogestes à adopter"(b).

La croissance de la crevetticulture aux quatre coins tropicaux de la planète et la recherche de devises à n'importe quel prix laissent des traces dans les pays du Sud  ! Destruction de mangrove et salinisation des zones côtières,... Pêcheries pélagiques sous pression de la fabrication de farine de poisson... Fragilisation des communautés côtières... Dans nombre de pays, les populations locales ne tirent aucun bénéfice de cette crevetticulture qui s'appuie le plus souvent sur le dumping social... Un moindre coût de production dans les pays du Sud pour un meilleur pouvoir d'achat dans les pays du Nord...

Alors que la crevette d'élevage représente 12% en volume de l'aquaculture de poisson et de crustacé, elle consomme 30% de la farine de poisson produite dans le monde...


Dans le monde, près de deux milliards de personnes dépendent du poisson comme source de protéines animales... « Pour 800 millions de personnes, habitant pour l'essentiel dans les pays en développement, le poisson est à la fois une source de nourriture et de revenus pour la famille. Malgré tout, à l’échelle mondiale, plus de la moitié des poissons consommés proviennent de ces pays... Revenir à une pêche durable, responsable et surtout locale devient crucial pour nos océans comme pour les pêcheurs », explique le WWF(e). Néanmoins, cette onge n'est pas sans contradiction. Sa politique de labellisation des pêcheries (MSC) et des élevages aquacoles (ASC) partout dans le monde s'inscrit non pas dans la relocalisation des marchés et une limitation de la consommation de produits importés mais bien dans une volonté de sécurisation voire de contrôle des filières par les grands groupes agro-halio-alimentaires depuis les régions de pêche et d'aquaculture jusqu'aux grands pôles de consommation...

La crevette serait mieux perçue des consommateurs que la langoustine (e)


Revenir à une consommation locale dans nos pays devient crucial... Pour la sécurité alimentaire des populations au Sud et la survie des producteurs au Nord... Crevette tropicale ! Et pourquoi pas bouquet, crevette grise, crevette blanche (f), gambas des marais charentais... et surtout langoustine du Golfe de Gascogne (g), une pêcherie qui fait vivre des centaines de pêcheurs français depuis le pays bigouden jusqu'en Charente-Maritime...

Des cuiseurs à la consommation de masse de crevettes tropicales en France

« La consommation de crevettes a réellement décollé à la fin des années 80 avec le développement des élevages de crevettes : cette offre plus stable en volume et prix a permis l’émergence du métier de cuiseur. Et la cuisson levait probablement un frein important à la consommation de crevette en proposant un produit prêt à l’emploi, ni trop cuit ni trop fade, sur un segment qui jouissait d’une très bonne image et d’un prix élevé. »



Selon les chiffres des Douanes françaises, notre pays a importé dans l'année 2017, une quantité de 81 527 tonnes de crevettes tropicales (genre Penaeus), essentiellement d'élevage, et d'une valeur de 640 millions d'euros (soit 85% de toutes les crevettes importées d'un total de 95 280 tonnes et de 735 millions d'euros). La crevette tropicale fait bien partie des produits de consommation de masse... En comparaison, notre pays a importé 503 millions d'euros de banane soit moins de 140 millions d'euros que de crevette tropicale... Cette consommation de masse s'appuie sur une chaîne bien huilée, d'un côté, la crevetticulture en plein boom dans les pays du Sud et de l'autre, le rayon marée (ou la poissonnerie) des hypermarchés, friand de produits d'appel. Avec comme intermédiaires déterminants, les cuiseurs qui transforment les crevettes tropicales importées crues et congelées...

Une dizaine de cuiseurs se partage des marges importantes !

En France, les crevettes tropicales sont donc principalement importées crues et congelées pour être cuites sur place à proximité des lieux de consommation. La part de crevettes vendues crues et congelées, voire plus rarement cuites et congelées, dans les importations est modeste.

Les cuiseurs qui préparent les crevettes cuites réfrigérées vendues sur les étals, occupent un rôle central dans la filière en transformant les 2/3 des crevettes tropicales importées, avec environ 50.000 tonnes de crevettes cuites chaque année :
• Trois entreprises produisent plus de 60 % des crevettes transformées
• Deux entreprises « moyennes » produisent 20 % des tonnages
• Six ou sept autres entreprises réalisent au total 20 % des tonnages.


« Au-delà des tonnages, les entreprises ont aussi des différences significatives dans les métiers, certaines ayant très largement développé les produits élaborés (produits décortiqués en couronne ou en sauce, petits conditionnements…), d’autres réalisant essentiellement une cuisson, vendant en caissettes pour les rayons traditionnels des supermarchés. »

« C’est un secteur assez dynamique avec un chiffre d’affaires et une valeur ajoutée dont la croissance est significativement plus rapide que pour la moyenne de l’agro-alimentaire ; sa rentabilité est plus élevée malgré des charges financières plus lourdes que la moyenne des industries agro-alimentaires. »

Les GMS représentent « le circuit le plus important pour la distribution des crevettes cuites réfrigérées sur le marché français : le rayon marée, représente environ 60 % des ventes des GMS, essentiellement des crevettes cuites réfrigérées (< 5 % de crevettes crues décongelées), dont 30 à 40% en promotion (environ 20 % en promotion communiquée). Ce sont en général des crevettes entières. Il s’agit d’un produit d’appel pour faire venir les clients ; c’est le 3ème produit du rayon poissonnerie traditionnelle. Il y a en général 2 à 3 références, sauf en période de fête ou en été (grosses crevettes pour le BBQ, par exemple), périodes pendant lesquelles il peut y avoir jusqu’à 5 à 6 références... »

Formation du prix de la crevette cuite sur le marché français

Transmission du prix pour la crevette P. vannamei, entière, cuite et réfrigérée, sur le marché français (en EUR/kg)... Sachant que la différence significative des prix selon l’origine provient essentiellement de la part de P. monodon dans les importations, espèce bien plus chère que P. vannamei. Madagascar fournit uniquement de la crevette P. Monodon (prix à l’importation entre 8,00 et 10,50 EUR/kg), tandis que l’Équateur fournit surtout de la crevette P. vannamei (prix à l’importation entre 4,00 et 6,00 EUR/kg). Source : La crevette cuite en France (Eumofa 2017)(a)

« Les GMS n’attachent pas actuellement une grande importance à l’origine des crevettes (tropicales essentiellement issues de l'élevage ndlr) car ils estiment que ce n’est pas un critère de choix pour les consommateurs, sauf l’origine Madagascar (qualité, goût, texture, avec un prix de vente très supérieur). Néanmoins, certaines crises médiatiques (liées au travail des enfants, à la protection de l’environnement) les ont conduits à éviter certaines origines (Thaïlande par exemple). Les crevettes d’origine française (France ou DOM/TOM sont peu présentes, car peu disponibles ou de qualité discutable (Guyane) ou trop chères (Calédonie par exemple). »

Success-story de la crevetticulture à la vietnamienne !

Dans les pays latino-américains (notamment en Equateur), la crevetticulture s'appuie sur des fermes de plusieurs milliers d'hectares chacune, alors qu'en Asie du Sud-Est (et tout particulièrement au Vietnam), l'élevage de crevettes se développe principalement à partir d'un réseau de plusieurs dizaines de milliers de petits producteurs...

Entre 2010 et 2015, la production vietnamienne de crevettes d'élevage est passée de 312 000 tonnes à 541.000 tonnes dont 318 000 tonnes de crevette à pattes blanches (P. vannamei) et 223 000 tonnes de crevette géante tigrée (P. monodon) (1). Aujourd'hui, on parle de plus d'un million de tonnes selon plusieurs reportages diffusés ces deux derniers mois et qui témoignent d'un véritable success-story de la crevetticulture à la vietnamienne !

Pour ne pas tomber dans les travers de son fameux Panga, les autorités vietnamiennes ont mis en place toute une stratégie de communication autour de sa crevette, nouveau fer de lance de l'aquaculture du pays... Ce sera une crevette high-tech, irréprochable et bardée de tous les labels disponibles sur le marché (Bio, ASC,...).

Voyage au pays de la crevette high-tech élevée dans le delta du Mékong

« Vu Duc Tri récite vite, aussi vite que défilent, dans son dos, les chiffres de l’entreprise. Sur l’écran déployé derrière lui, courbes et camemberts s’enchaînent au rythme d’un exposé que le représentant de la compagnie Viet Uc maîtrise sur le bout des doigts. La trentaine, le costume noir et le sourire omniprésent, l’ingénieur parle bilan de production et perspectives de marché. Dans l’air réfrigéré de la salle de conférences, il décortique la stratégie du groupe, jusqu’à son ultime dessein. « Ce que nous visons, c’est la crevette parfaite », s’enthousiasme-t-il devant une poignée de journalistes et de représentants du ministère de l’Agriculture vietnamien. « Nous voulons que le pays devienne une référence mondiale, poursuit-il. De même que les consommateurs sont prêts à payer plus cher la technologie japonaise, nous voulons qu’ils soient prêts à acheter au prix fort la crevette vietnamienne. »

« Une crevette high-tech, dont les larves génétiquement sélectionnées sont écloses ici même, à Nha Mat, au sud du Vietnam, dans les piscines thermorégulées de la Viet Uc, leader national du secteur. Ou, plus globalement, une crevette haut de gamme, voire bio, sur laquelle mise aujourd’hui le pays pour charmer le consommateur, et tout singulièrement le consommateur européen. »(4)

Vietnam : la crevette, trésor du Mékong


« L’industrie de la crevette a transformé plusieurs régions : le rapport est tel que les motos y ont remplacé les vélos, des routes sont arrivées, tout cela grâce à la multiplication des bassins. Certes, l’environnement a pris un coup de vieux, les mangroves étant impactées par l’aménagement des fermes à crevettes. C’est le cas du delta du Mékong. Inversement, la production de riz périclite : elle rapporte moins et on s’y casse plus sûrement le dos. »

En réalité, c'est par la force des choses que les paysans, producteurs de riz, sont devenus petit à petit éleveurs de crevettes.

« Le delta du Mékong, à l’extrême sud du Vietnam est le bol de riz des Vietnamiens. Mais la montée du niveau de la mer touche les rizières et contraint les agriculteurs à changer de modèle économique en transformant les rizières en élevage de crevettes ! Nous sommes dans une région agricole qui nourrit en riz le Vietnam et une quarantaine de pays. Chaque année, plus de 25 millions de tonnes y sont produites. M. Tho dirige une coopérative d’une cinquantaine d'agriculteurs dans le delta. Autrefois, il ne vivait que du riz. Peu à peu, il s'est mis à la crevette. Sur ses 90 hectares, il n y a plus que 20 % de riz, tout le reste est réservé à de l’élevage de crevettes. « Avant 2002, tous les champs qui sont autour de nous étaient des rizières. Après 2002, à cause du changement climatique et de la montée du niveau de la mer, l’eau est devenue salée. Au moment de la récolte, on a constaté que la qualité des grains de riz s'était dégradée, le riz était moins bon. Cela nous a posé des problèmes. C'est à cause de ça que nous avons décidé d’arrêter de planter du riz les saisons suivantes. On a changé pour de l'élevage de crevettes. » (3)

Au Vietnam, la crevette, bonne fortune des riziculteurs


Appâtés par le gain, beaucoup de petits paysans se sont mis à l'élevage de la crevette en abandonnant du même coup la culture traditionnelle du riz : « Ils ont été influencés par des conseillers aquacoles qui n'étaient autre que des vendeurs d'aliments artificiels, de produits dits zoo-sanitaires et d'antibiotiques ».(5)

C'est ainsi que de grands groupes vietnamiens appuyés de l'étranger accompagnent ou plutôt incitent les paysans à se reconvertir dans la crevetticulture. La société Tap Doan Viet-Uc qui contrôle toute la chaîne de production, peut fournir à ces petits paysans, larves de crevettes sélectionnées et aliment aquacole... Un autre groupe, Minh Phu est le « premier exportateur national en termes de chiffre d’affaires. De ses chaînes de transformation sortiront 55 000 tonnes de crevettes cette année, lesquelles lui rapporteront près de 600 millions d’euros. Gros employeur – 14 000 personnes travaillent dans ses usines –, il entend s’imposer comme un acteur incontournable et invite les petits producteurs à passer contrat avec lui. « Nous leur fournissons larves de crevette et aides techniques pour développer une production biologique et naturelle », explique Le Van Quang, son PDG... Cinquante mille éleveurs ont déjà franchi le pas, dont Thai Hoang Nat, lequel assure y trouver son compte. « Avant, le prix auquel nous vendions nos crevettes dépendait de la demande, les intermédiaires s’entendaient entre eux pour le faire baisser », raconte le producteur. « Aujourd’hui, je vends la Black Tiger à 10 euros le kilo. » Un très bon tarif, qui lui assure un revenu mensuel de plus de 800 euros, dans une province où le Smic ne dépasse pas les 110 euros par mois. » (4)

Les gouvernements de ces pays en développement ont vu dans cette activité aquacole tournée vers l'exportation une véritable pompe à devises et ont été soutenus par des instances internationales comme la FAO et la Banque Mondiale. L’Union européenne n’est pas en reste, et elle contribue à développer cette industrie crevetticole au Vietnam. En 2016, l’UE a ainsi financé une chaîne de développement durable qui concerne 25 000 ouvriers dans trois provinces. Le prêt de 2,5 millions d’euros a permis à des petits producteurs de se lancer dans cette culture profitable. Par ailleurs, les grands groupes mondiaux de l'alimentation aquacole s'installent au Vietnam : Cargill, Nutreco,...




Le delta du Mékong vietnamien qui est l’une des régions les plus productives sur le plan agricole et qui revêt une importance mondiale pour ses exportations de riz, de crevettes et de fruits, vit sous la menace environnementale. « Les 18 millions d’habitants de ce delta de basse altitude sont parmi les plus vulnérables au changement climatique. Au cours des dix dernières années, environ 1,7 million de personnes ont émigré de ces vastes étendues de champs, de rivières et de canaux, alors que 700 000 seulement y sont arrivées... Le taux de migration net depuis les provinces du delta du Mékong est plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale, et même plus élevé dans les zones les plus vulnérables au climat... Les gouvernements et les communautés locales dans les pays en voie de développement ont déjà mis en place des mesures d’adaptation pour faire face aux effets du changement climatique... » Des scientifiques qui ont mené des études au Vietnam, mettent en garde sur la façon dont cette adaptation est parfois conduite dans ce pays.(6)

Plutôt que se préparer aux changements climatiques, les paysans s'engouffrent dans des modèles de développement non soutenable pour eux, mais qui sont portés par les autorités car à court terme, il s'agit de faire rentrer des devises....

Les revers de la médaille : destruction de la mangrove et salinisation des zones côtières

La crevetticulture mal gérée peut avoir des conséquences désastreuses sur l'environnement. Pour construire des bassins d'élevage, d'immenses zones de mangroves ont été détruites. Ces zones de bord de mer, riches en végétation, en plus d'être capitales pour éviter l'érosion des côtes, servent de réserve pour la biodiversité. Autres problèmes, celui de la salinisation des nappes phréatiques et des terres agricoles et celui de la pollution des eaux côtières suite aux rejets de boues par les fermes d'élevage. Sans oublier l'utilisation massive d'antibiotiques pour lutter contre les maladies dévastatrices pour les élevages. Comme l'explique Denis Bailly : « Les crevettes produites en élevages intensifs produisent des volumes très importants de matières organiques qui, en se dégradant, modifient totalement l'écosystème. « Par ailleurs, la dissémination d'antibiotiques dans le milieu naturel est inquiétant parce que nous ne connaissons pas leur impact sur les espèces naturelles ».(5)



L'expansion de l'aquaculture au cours des deux dernières décennies a été le principal moteur de la perte de mangrove, indique une étude publiée en juin 2017 dans PLOSOne : Distribution and drivers of global mangrove forest change, 1996–2010 (7)

L'étude, menée par une équipe de scientifiques de Global Mangrove Watch (GMW), a permis de cartographier la distribution et les changements des écosystèmes de mangroves dans le monde entre 1996 et 2010 en utilisant l'imagerie satellitaire. L'équipe a analysé 1 168 zones de mangrove en Amérique du Nord, centrale et du Sud, en Afrique, au Moyen-Orient, en Inde et en Asie du Sud-Est.

« Les mangroves ont subi des pertes importantes au cours de la dernière décennie, principalement en raison de l'augmentation des populations côtières et de la conversion des mangroves en bassins d'aquaculture... L'Asie du Sud-Est, qui abrite 33,8% des mangroves du monde et 90% de l'aquaculture mondiale, a été la région la plus touchée par la dégradation de la moitié de ses mangroves. »(8)

« En seulement deux décennies, la crevette a radicalement changé le paysage du Delta du Mékong. Ce qui était autrefois des rizières gagnées sur les forêts de mangrove, cèdent maintenant la place à des milliers et des milliers de bassins d'élevages de crevettes intensifs. Le paysage est austère et nu, et les étangs ressemblent à des nids de poule géants en train de cuire sous le soleil de l'après-midi. Dans de nombreuses zones, il est difficile de voir de la mangrove. »(9)

« Il ne fait aucun doute que le boom de la crevette a apporté la prospérité. Le Vietnam est devenu l'un des principaux exportateurs de crevettes au monde. Et ces étangs, qui étaient autrefois considérés comme des zones de mangrove improductives, ont permis aux agriculteurs de construire des maisons en béton et d'acheter de nouvelles voitures. Mais les experts craignent que cette prospérité, en plus d'être éphémère, ait un prix élevé.

Le delta du Mékong est un exemple extrême de la disparition rapide des forêts de mangrove sur les côtes les plus vulnérables dans le monde. En 2007, la FAO estimait qu'au Vietnam, les mangroves étaient passées de 400 000 hectares en 1950 à 157 000 hectares en 2005. Étude réalisée à Tra Vinh, une des provinces du delta du Mékong au Vietnam et importante zone de production de crevettes , a estimé le taux de destruction des mangroves à 13,1% par an entre 1995 et 2001, contre 0,2% par an entre 1965 et 1995. L'augmentation drastique de la déforestation est attribuée à l'élevage de crevettes. » (9)

En Inde, des exportations en forte croissance, mais aussi des impacts environnementaux

Les exportations indiennes de crevettes devraient dépasser 550 000 tonnes au cours de l’année fiscale 2018 (avril 2017-mars 2018), soit 30% de plus qu’en 2017. Cette hausse est due à une demande croissante sur le marché international, même si certains pays comme le Koweït ou la Thaïlande ont fermé leur porte aux crevettes indiennes. Après une hausse des exportations de 19% en volume au cours de l’année fiscale 2017, et de 25% en valeur (atteignant 3,84 milliards de dollars), la tendance à la hausse s’est poursuivie en année fiscale 2018 et l’Inde représente actuellement 35% du commerce mondial de crevettes surgelées... (10)


Au Sud-Est de l'Inde dans l'Etat du Tamil Nadu, l'élevage de crevette est en plein essor- mais il cause la pollution de l'eau et du sol... Les villageois, des militants se sont rassemblés pour protester contre la forte teneur en sel dans les eaux souterraines qui les rend inutilisables, en violation des lois forestières.

« Il faisait presque nuit au village de Killai dans le district côtier de Cuddalore, au Tamil Nadu, par une chaude journée d'été. Dans un champ aride bordé de cocotiers et de palmiers dattiers, la musique folklorique tamoule sortait de deux haut-parleurs attachés à un poteau électrique. Dans une lente procession, des hommes et des femmes de tout âge ont marché dans le champ nu où une estrade était posée, portant une bannière rouge avec les mots « Iraal Pannaigal Edhurpu Manadu ». (Une réunion pour s'opposer à l'élevage de crevettes).

Les gens étaient des habitants de 15 villages autour de Killai qui se plaignaient de l'aquaculture de crevettes ; cet élevage avait rendu leur nappe phréatique salée au cours des 15 dernières années et il avait rendu toutes leurs sources d'eau potable inutilisables. Le sol de ces villages était devenu si salé que l'arachide et le riz, autrefois récoltés en abondance, ne poussent plus. Les trous d'eau naturels, d'où sortait l'eau potable, sont devenus des sources d'eau salée.

Pire, les forêts luxuriantes de palétuviers de Pichavaram qui guident les eaux dormantes près de Killai - une attraction touristique populaire - meurent lentement à cause des déchets chimiques provenant des fermes de crevettes.

« Au début, nous pensions que les fermes de crevettes contribueraient au développement de notre village et nous donneraient des emplois », a déclaré N Ravichandran, un agriculteur du village de Radhavilagam. « Ce n'est que bien plus tard que nous avons réalisé que nos sources d'eau potable étaient polluées. » (11)

L'histoire de la salinisation des zones côtières se répète au Bangladesh... (12)

La crevette est rapidement devenue l'une des sources de revenus les plus importantes du Bangladesh. Pour maximiser leurs profits, les grands fermiers ont forcé les petits paysans à convertir leurs champs d'eau douce (rizière) en fermes à crevettes. La salinité s'infiltrait alors toujours plus à l'intérieur des terres.

Cela a nui à la diversité de la faune et de la flore, explique Dilip Datta, professeur de sciences de l'environnement à l'université de Khulna. « Avant, vous auriez pu trouver plus de 10 variétés différentes de poissons d'eau douce, mais maintenant vous ne pouvez en trouver que deux ou trois dans certaines régions. »

Cela a également eu un impact notable sur la sécurité alimentaire. Le Dr Mohammad Iqbal est un médecin, spécialiste de la santé publique qui travaille dans le district côtier de Chakaria, dans le sud-est du pays, depuis près de 20 ans. Il a observé l'impact dévastateur de la culture de la crevette.

Les agriculteurs, dit-il, avaient l'habitude de cultiver des fruits et légumes et d'élever du bétail et des volailles. Mais maintenant, ils dépendent complètement du marché pour nourrir leurs familles. « Les magasins stockent des produits non périssables, des féculents comme les pommes de terre, le riz et les lentilles », poursuit Iqbal. « Mais de nombreuses familles ne reçoivent plus les compléments nutritifs apportés par les légumes verts. De plus, le lait et les œufs sont presque toujours absents. »(12)


Les distributeurs affament les travailleurs de la crevette !

Melati, une ancienne travailleuse dans la transformation de crevettes en Indonésie, a dû signer son contrat alors qu’elle ne savait pas lire et n’a pas été autorisée à le prendre en photo. Lorsqu’elle manipulait du chlore, elle se trouvait souvent à bout de souffle. On ne lui permettait pas de boire de l’eau pendant ses heures de travail. Photo : Adrian Mulya/Oxfam/Sustainable Seafood Alliance

Pour l'Ong Oxfam, les pressions de la grande distribution sont telles qu'elles affament les travailleurs et les travailleuses impliqués dans les chaînes d’approvisionnement de la crevette.

Dans son dernier rapport, « Derrière le code-barres, des inégalités en chaînes », Oxfam montre la face sombre de notre système alimentaire en révélant comment des millions de femmes et d’hommes qui produisent la nourriture que nous consommons touchent un salaire ne leur permettant pas de se nourrir correctement tandis que l’industrie agro-alimentaire engrange toujours plus de bénéfices. Le système alimentaire mondial présente des inégalités de plus en plus criantes. Agriculteurs et producteurs, en France et dans le reste du monde, gagnent toujours moins depuis vingt ans, alors que la grande distribution accumule les bénéfices, dénonce l'ONG après avoir passé au crible 12 filières agro-alimentaires notamment la crevette congelée et le thon en conserve.(13)

Lire aussi : Achetez du poisson ! Votre hypermarché presse le citron !

Oxfam et la Sustainable Seafood Alliance ont examiné en détail les conditions de travail dans les usines de transformation des produits de la mer en Thaïlande et en Indonésie, respectivement, qui fournissent quelques-uns des plus grands supermarchés aux États-Unis et en Europe, y compris Ahold Delhaize, Aldi Nord et du Sud, Lidl et Whole Foods, entre autres. Les travailleurs ont décrit des conditions dangereuses, des salaires de misère, des pauses strictement contrôlées pour se rendre aux toilettes et pour se désaltérer, et des insultes. En Thaïlande, plus de 90 % des travailleurs interrogés du secteur de la transformation de fruits de mer ont dit avoir dû se priver de nourriture au cours du mois écoulé. Près de 80 % des travailleurs de ces usines sont des femmes. 

Augmentation de la part des grandes surfaces dans le prix de vente des crevettes

Globalement pour l'ensemble des filières alimentaires, les producteurs, qui touchaient en moyenne 8,8% du prix final du panier entre 1996 et 1998, n'en recevaient plus que 6,5% en 2015. Dans le même temps, la grande distribution voyait sa part gonfler à 48,3% du prix final contre 43,5% vingt ans plus tôt.

« Lorsque nous avions nos règles, nous ne pouvions pas changer de serviette hygiénique car nous ne pouvions rien amener au travail, » a déclaré Melati, une ouvrière parmi les dizaines interrogées par la Sustainable Seafood Alliance d’Indonésie. Melati a également souffert de brûlures aux bras car elle devait manipuler du chlore sans protection adéquate.

Extrait du rapport d'Oxfam publié en juin 2018 : Derrière le code-barre: des inégalités en chaînes (13)

Encadré 3 : De bas salaires, des horaires de travail excessifs et des conditions dégradantes pour les personnes travaillant dans la transformation de la crevette en Asie du Sud-Est

Quelques-uns des exemples les plus choquants d’abus des droits humains et du travail à avoir fait la une des médias ces dernières années concernent le travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement de la crevette pour la grande distribution en Asie du Sud-Est.

Malgré les progrès réalisés ces dernières années, une nouvelle étude d’Oxfam et de la Sustainable Seafood Alliance Indonesia révèle que de graves problèmes persistent à la fois pour les hommes confrontés au travail forcé à bord des bateaux de pêche dans la région, et pour la grande majorité de femmes travaillant dans les usines de transformation de fruits de mer.

Lire : Thaïlande. Cartons pleins... Et carton rouge pour le Cambodge ?

Lors d’entretiens avec des travailleurs et travailleuses de certaines des plus grandes entreprises de transformation et des plus grands exportateurs de crevettes en Indonésie et en Thaïlande (entreprises qui approvisionnent ou ont approvisionné des supermarchés comme Ahold Delhaize, Albertson’s, des entités nationales d’Aldi Nord et d’Aldi Sud, Asda, Costco, Edeka, Jumbo, Kroger, Lidl, Morrisons, Rewe, Sainsbury’s, Tesco, Walmart et Wholefoods), les travailleurs et travailleuses ont fait part d’une série de problèmes inquiétants.

Par exemple :
  • Les fournisseurs thaïlandais versent des salaires si dérisoires à leur main d’oeuvre que plus de 60% des femmes interrogées ont été classées comme souffrant d’insécurité alimentaire grave, et les longues heures supplémentaires sont, selon ces mêmes travailleurs et travailleuses, monnaie courante. Nombreux sont ceux à avoir payé des frais de recrutement, contractant ainsi d’importantes dettes, afin d’assurer leur emploi.
  • Chez les fournisseurs indonésiens, les travailleuses ont déclaré effectuer des heures supplémentaires non rémunérées afin d’atteindre leur objectif, qui consiste à décortiquer 19 kg de crevettes par heure travaillée, pour ne toucher que le salaire minimum.
  • Dans certaines usines de transformation, des travailleuses ont indiqué que les pauses toilettes et l’accès à de l’eau potable font l’objet d’un contrôle strict. En Thaïlande, une travailleuse a affirmé qu’il n’y avait que neuf toilettes pour 1 000 travailleuses dans son usine. En Indonésie, une autre a confié qu’il n’y avait que deux verres d’eau disponibles dans son usine pour des centaines travailleuses ; certaines se plaignant par ailleurs d’infections urinaires.
  • Dans l’ensemble du secteur, le travail est épuisant, la violence verbale des superviseurs est une pratique courante et l’accès à des syndicats performants est strictement limité.
Toujours plus pour le capital... Toujours moins pour le travailleur peu qualifié
En France, Carrefour a versé en 2016, 57 % de ses 894 millions de bénéfices sous forme de dividendes à ses actionnaires. Si l’entreprise n’avait reversé ne serait-ce que 1% de ce montant aux ouvriers vietnamiens dans le secteur de la transformation de la crevette, plus de 14 000 d’entre eux auraient pu accéder à un revenu vital. Selon un calcul d'Oxfam, les huit premières chaînes de grandes surfaces du monde cotées en Bourse ont réalisé quelque 1 000 milliards de dollars de ventes en 2016 et près de 22 milliards de dollars de bénéfices. "Au lieu de réinvestir dans leurs fournisseurs, elles ont reversé la même année plus de 15 milliards de dollars de dividendes à leurs actionnaires", indique l'étude. 

« Le secteur privé a le potentiel d’extraire des millions de personnes de la pauvreté, mais l'industrie alimentaire, comme tant d'autres, récompense la richesse avant le travail des femmes, » a déclaré Winnie Byanyima, directrice d'Oxfam international. « Les supermarchés peuvent se permettre de payer aux producteurs un prix équitable sans en faire supporter le coût au consommateur. Dans bien des cas, il suffirait de reverser 1 ou 2 % du prix du détail, quelques centimes seulement, pour que la vie des femmes et des hommes qui produisent la nourriture sur leurs rayons s’en trouve transformée. » 

Alors qu’une pléthore de réformes gouvernementales et d’initiatives du secteur privé ont vu le jour dans les deux pays (Thaïlande et Indonésie) conduisant à des avancées dans de nombreux domaines, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour lutter contre les causes profondes des enjeux de droit du travail - notamment en s’attaquant à la part toujours plus petite du prix à la consommation des crevettes qui revient aux entreprises de transformation et à leurs travailleurs et travailleuses.

Philippe Favrelière (modifié le 23 juin 2018)

Autres articles :

a- Le marché de la crevette en France FranceAgriMer - Septembre 2017

Etude sur le marché de la crevette en France - Synthèse

Diaporamas de présentation : Marché de la crevette

La crevette cuite en France – Eumofa 2017

Marché européen des produits de la mer - Edition 2017
b- Alimentation : les écogestes à adopter

c- Faut-il arrêter de manger des produits de la mer ? Des scientifiques importants commencent à se poser sérieusement la question

d- Consoguide poisson ou comment consommer du poisson différemment

e- Baromètre d'image des produits aquatiques
Rapport complet sur le baromètre d'image des produits aquatiques de mai 2017 - perception de l'étiquetage des produits aquatiques - FranceAgriMer - mai 2017

Baromètre d'image des produits aquatiques – Synthèse – FranceAgriMer - mai 2017

f- Crevette blanche de l'Estuaire

g- Langoustine de Gascogne, la marque d'une pêche durable locale

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(1) Etude de cas : La pêche au Vietnam – Eumofa - Faits saillants du mois n°6-2017

(2) Vietnam : la crevette, trésor du Mékong

(3) Changement climatique : l'élevage de crevettes envahit le Mékong, au sud du Vietnam

(4) Aquaculture. Quand la crevette vietnamienne drague l’Europe

(5) Une vie de crevette !

(6) Réfugiés climatiques : cette crise qui couve au Vietnam

(7) Distribution and drivers of global mangrove forest change, 1996–2010

(8) Aquaculture is main driver of mangrove lossesuaculture has proved to be worst enemy of mangroves worldwide

(9) Shrimp Farming: Problem or Solution?

(10) Inde - Exportations de crevettes en forte croissance

(11) Shrimp farming is booming in Tamil Nadu – but it is causing water and soil pollution

(12) The Bangladesh shrimp farmers facing life on the edge

(13) Derrière le code-barre : des inégalités en chaînes

Les travaux de recherche et d’analyse sur l’Indonésie sont co-écrits avec Sustainable Seafood Alliance Indonesia. Pour plus d’informations sur les chaînes d’approvisionnement du secteur des crevettes, voir Oxfam and the Sustainable Seafood Alliance Indonesia. (2018). Supermarket Responsibilities for Supply Chain Workers’ Rights: Continuing challenges in seafood supply chains and the case for stronger supermarket action.

Pour Oxfam, les pressions de la grande distribution affament les paysans

Pour aller plus loin...

Ne ratez pas : "Crevettes en eaux troubles"



Un bon documentaire d'Elise Joseph (2018) 52 min.

Ce documentaire passe en revue les principales crevettes consommées en France, en insistant plus spécialement sur la crevette Label Rouge de Madagascar et la crevette d'Equateur...

Mise en bouche avec la crevette impériale élevée dans les marais charentais

 Crevettes impériales aux cèpes rôtis préparées par Pierre Gagnaire à Châtelaillon-plage (17)

Comment reconnaître une bonne crevette ? Mutilés pour être plus productifs et noyés de sulfites, ces crustacés ont une traçabilité plutôt incertaine.

Elles sont petites, roses, pas trop chères et les Français en raffolent : les crevettes sont englouties chaque année à hauteur de 2 kilos par personne. Mais attention, il y a crevette et crevette nous apprend un documentaire, "Tout dépend d’où elle vient, de la manière dont elle a été cuite et congelée. Son prix - de 9 à 70 euros le kilo ! – est évidemment un premier indice de sa qualité, mais qu’on ne cherche pas trop d’infos la concernant sur les emballages ou auprès de son poissonnier : sa traçabilité est souvent plus opaque que les fonds vaseux où elle aime à traquer ses proies.

Première méthode pour reconnaître la bonne crevette : la tenir du bout des doigts et la secouer. Si la tête se maintient, c’est bon signe. Si elle pendouille, aïe... D’une manière générale, plus une crevette est brillante et ferme, mieux c’est. Dans le doute, mieux vaut opter pour celles estampillées "AB" (donc bio) ou "Label Rouge" en provenance de Madagascar, la terre où (avec la côte atlantique française) les crevettes sont les plus excellentes. A l’inverse, celles qui débarquent d’Inde, du Viêtnam, d’Equateur ou du Bangladesh sont généralement moins qualitatives. Elevées à des densités folles (300 crevettes au mètre carré contre 15 à Madagascar), souvent gavées d’antibiotiques et de protéines pour les faire grandir artificiellement, elles sont bonnes pour les affaires, moins pour les papilles des gastronomes.

Mais toutes les crevettes, hélas, sont inondées de métabisulfites, ces conservateurs chimiques qui ne servent à rien sinon à empêcher l’apparition de petites taches d’oxydation disgracieuses sur la carapace – des taches normales, mais qui ressemblent à de la pourriture. Ce produit est normalement sans conséquence sur la santé (sauf pour les 200.000 Français qui y sont intolérants), mais il a tendance à les rendre plus fades. De même, la chair de ces carnassières perd en saveur quand elles sont nourries aux produits végétaux (soja, blé). Par ailleurs, si vous voyez, sur l’étal, des crevettes auxquelles il manque un œil, attention : cette pratique s’appelle l’"épédonculation" sert à booster artificiellement la ponte des femelles. Il y a fort à parier que ces borgnes ne soient pas très intéressantes dans l’assiette.

Par Arnaud Gonzague - Publié le 01 avril 2018 à 18h00
https://teleobs.nouvelobs.com/la-selection-teleobs/20180319.OBS3808/ne-ratez-pas-crevettes-en-eaux-troubles.html

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La crevette cuite en France

Structure des prix dans la filière : étude de cas

EUMOFA - 2017

Le marché européen de la crevette cuite se caractérise par sa totale dépendance aux importations provenant principalement d’Amérique Centrale, d’Amérique du Sud et d’Asie. La majeure partie des crevettes est importée crue et congelée pour être cuite à proximité des lieux de consommation. En conséquence, le secteur de la cuisson de crevettes repose presque essentiellement sur la crevette tropicale, notamment sur les espèces du genre Penaeus. - Le marché français de la crevette cuite représente 70.000 tonnes et repose à 90 % sur la crevette pattes blanches (Penaeus vannamei). - Les échanges de crevette cuite et réfrigérée se font surtout entre les États membres voisins et restent très limités par rapport aux échanges de crevette congelée. - La France est le plus grand importateur européen de crevettes Penaeus, avec environ 77.000 tonnes importées en 2015. L’UE importe environ 7 % du total de la production mondiale de crevettes du genre Penaeus. La part de crevettes vendues directement congelées dans les importations est négligeable. - En France, en 2015, l’Équateur et l’Inde ont représenté plus de la moitié du volume des importations (respectivement, 41 % et 21 %), suivis par Madagascar, représentant 6 % des importations et fournissant principalement de la crevette géante tigrée (Penaeus monodon). Les importations intra-UE ont représenté 16 % du volume des importations. - Le marché français de la crevette tropicale dispose d’une grande diversité de produits, segmentés selon plusieurs critères (espèce, taille, provenance, présentation et conservation). Pour autant, le marché principal reste celui de la crevette Penaeus vannamei, commercialisée en gros sur les étals de poisson frais des grands distributeurs et dans une moindre mesure, des poissonneries. Par ailleurs, la demande de produits élaborés, transformés, pré-emballés et certifiés s’est accrue récemment. - Le commerce mondial de la crevette tropicale est un marché particulièrement tendu. Très récemment, il est devenu extrêmement dépendant des importations chinoises. En France, la consommation de crevettes cuites par les ménages dépend fortement de l’évolution du prix. De ce fait, le secteur de la cuisson de crevettes connaît un contexte particulièrement tendu d’une année à l’autre, avec des marges relativement faibles et une forte dépendance aux prix à l’importation. - À propos de la transmission des prix dans la filière : - Étant donné que la valeur ajoutée de la transformation est relativement faible (cuisson seulement), les marges sont limitées et dépendent entièrement de l’évolution du prix de la matière première (prix à l’importation). - En France, la phase de cuisson ne représente que 10 % du prix de détail.


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