Aquaculture : Quel modèle de développement pour l’Europe ?

Le 8 avril 2009, la Commission a présenté une communication visant à donner un nouvel élan au développement de l’aquaculture. Bien que l’Europe possède de nombreux atouts, sa production aquacole stagne depuis quelques années, tandis que, dans le reste du monde, elle continue de croître. A l’échelle de la planète, l’aquaculture contribue maintenant à la moitié des besoins alimentaires en produits aquatiques avec une production annuelle de près de 50 millions de tonnes. L’Europe des 27 reste à la traîne avec une production de près de 1,3 millions de tonnes alors que la demande des consommateurs européens est en hausse constante. Sur un marché communautaire où les importations de produits aquatiques représentent plus de 60% de la consommation, l’aquaculture devrait avoir de beaux jours devant elle.

L’aquaculture, une réalité diversifiée

L’aquaculture est un secteur très varié, qui comprend non seulement l’élevage de poissons de mer ou d’eau douce, mais aussi de mollusques (coquillages) et de crustacés, produits dans différents types et selon différentes méthodes d’élevage : ouverts ou fermés, extensifs ou intensifs, sur terre, dans des lacs, en bassin – alimentés par des rivières, voire par les eaux souterraines – dans les eaux littorales ou au large des côtes.

Dans l’Union Européenne, la principale activité aquacole est la conchyliculture (ou l’élevage des coquillages). Deux espèces de bivalves, la moule et l’huître, représentent près de la moitié de la production aquacole européenne. Viennent ensuite les poissons d’eau douce avec la truite, carpe et autre cyprinidé, puis les poissons marins avec le saumon, bar et dorade. Les autres productions sont négligeables, comme la crevette et les algues qui sont pourtant très importantes au niveau mondial.

La France est le premier pays aquacole dans l'Europe des 27 avec une production de près de 250 000 tonnes (200 000 de coquillages + 50 000 tonnes de poissons).

La spécificité française est que l’aquaculture est principalement entre les mains d’entreprises familiales pour des activités comme l’ostréiculture et la mytiliculture à forte demande de main d’œuvre, contrairement à la Norvège, le premier pays aquacole du continent où l’activité appartient à plus de 90% à des multinationales cotées en bourse pour des activités aquacoles exclusivement de pisciculture marine à forte utilisation d’intrants fournis par l’industrie agro-alimentaire. Ces sociétés norvégiennes contrôlent plus de 75% la production de saumons écossais, et une partie de la production de truites en France ; certaines participent à la production de bar et de dorade en Méditerranée.

Aquaculture familiale ou aquaculture industrielle ?

Le document de la commission fait la distinction entre activité artisanale et industrie de pointe : « S’il s’agissait au départ d’une activité artisanale, certaines branches de ce secteur ont aujourd’hui toutes les caractéristiques d’une industrie de pointe. Si le secteur reste encore largement structuré en PME, certaines grandes entreprises intègrent désormais les principales étapes de la filière (reproduction et grossissement des poissons, alimentation, transformation, commercialisation). »

Pour moi, cette distinction est fallacieuse, il faudrait plutôt faire la distinction entre activité familiale/artisanale et activité industrielle. Des activités familiales peuvent être à la pointe à l’image des entreprises mytilicoles qui ont su au cours des années récentes s’adapter et montrer de fortes capacités d’innovation tout en respectant l’environnement (culture de moules au large sur des filières).

En faisant cette distinction, la Commission Européenne va dans le sens de certains lobbies qui souhaiteraient orienter l’aquaculture européenne vers des systèmes intégrés à l’industrie agro-alimentaire en prenant l’exemple sur les élevages intensifs agricoles. Dans ce type d’élevage industriel dont la salmoniculture est le prototype même, l’aliment piscicole représente environ 50% du coût de production des poissons, alors qu’en conchyliculture, les huîtres et les moules prélèvent directement leur nourriture dans le milieu.

Par ailleurs, les activités traditionnelles aquacoles ont démontré leur caractère « durable ». Les premiers parqueurs d’huîtres dans le bassin de Marennes-Oléron remonteraient au XVIIe siècle. Ce qui n’est pas le cas des élevages intensifs de poisson en mer qui après une trentaine d’années de pratique sont confrontés à d’énormes problèmes sanitaires et environnementaux. En France, la conchyliculture pourvoit de nombreux emplois sur tout le littoral, elle occupe plus de 10000 personnes (équivalent temps plein) pour une production de 200 000 tonnes ; en Norvège, la salmoniculture n'occupe que 5 000 personnes pour 800 000 tonnes de salmonidés.

La Norvège est souvent prise comme modèle de développement aquacole en Europe. En chiffre de production de saumon, ce pays est imbattable ! Mais, il faut y voir de plus près. Si au départ, les pêcheurs norvégiens et les petits entrepreneurs ont été associés à l’élevage de saumon, rapidement, cette activité a été monopolisée par de grands groupes industriels. La salmoniculture ne correspond en rien à une activité de diversification pour les pêcheurs qui ont été très vite écartés.

C’est pourquoi il est important de réfléchir à d’autres formes d’aquaculture pour associer les pêcheurs européens à ce processus de développement halieutique. Par exemple l’aquaculture de repeuplement, les programmes de récifs artificiels (voir : CORAIL île de la REUNION) …
Philippe FAVRELIERE

Autres articles :

Pour plus d'informations :

Photographie de la Belle d'Oléron : l'ostréiculture est un métier très manuel - retournement des poches d'huîtres (Marennes-Oléron)

Le développement de l'aquaculture est traité principalement en terme de quantité et d'impact sur l'environnement, sans aborder le cadre de l'activité et les aspects sociaux. D'autre part confusion entre aquaculture et pisciculture. Lire l'article du Monde du 12 novembre 2009 :

Le développement fulgulrant de l'aquaculture devrait continuer (Le Monde)
Les poissons d'élevage ne devraient pas tarder à supplanter les espèces sauvages dans l'alimentation humaine. Près de la moitié des 110 millions de tonnes de poissons, coquillages et mollusques consommés chaque année proviennent d'élevages, selon les données de l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO). La part de l'aquaculture ne peut que croître : de nombreuses espèces sauvages sont surexploitées, les captures stagnent. Les océans ne pourront pas fournir les 30 millions de tonnes de poissons supplémentaires nécessaires pour maintenir la consommation moyenne à l'horizon 2050. Le développement de l'aquaculture, qui a déjà connu une croissance fulgurante (la production est passée de 1 million de tonnes au début des années 1950 à 51 millions en 2006), devrait donc se poursuivre.
Cependant, l'activité a de nombreux impacts sur l'environnement, dont certains pourraient freiner son expansion. En premier lieu, elle consomme des ressources sauvages. Un tiers des poissons pêchés chaque année est utilisé pour fabriquer farines et huiles de poisson, dont une partie sert à alimenter les poissons d'élevage. Cette pêche "minotière" prélève de petites espèces comme l'anchois, le sprat ou le lançon. "Pour produire un kilo de saumon, il faut en moyenne quatre kilos de poissons de pêche, explique Charles Braine au Fonds mondial pour la nature (WWF) France. L'aquaculture ne pourra donc jamais remplacer la pêche, dont elle est complètement dépendante." Même si la part des protéines animales dans l'alimentation des poissons d'élevage est en baisse, l'augmentation de la production aquacole totale compense ce gain. En outre, pour certaines espèces comme le thon rouge, les juvéniles sont capturés dans le milieu naturel.

L'aquaculture connaît par ailleurs le même type de problèmes que l'élevage à terre. La concentration de nombreux animaux dans des espaces restreints peut provoquer une dégradation de la qualité des eaux due aux rejets d'effluents (aliments non consommés et excréments). S'ils ne sont pas dispersés par les courants ou traités, ces derniers entraînent des proliférations d'algues et l'asphyxie des organismes aquatiques alentour.
La densité des élevages favorise également le développement de maladies, qui ont longtemps été combattues par des antibiotiques. L'apparition des vaccins a cependant réduit cette pratique. La transmission de maladies aux poissons sauvages, et le croisement des animaux échappés d'élevage avec des espèces sauvages sont également redoutés.
Sous la pression des consommateurs et des gouvernements, les industriels de l'aquaculture cherchent à réduire ces impacts. Une aquaculture "intégrée", qui diminue au maximum son impact sur l'environnement, est en train de se développer. Gaëlle Dupont

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Analyse prospective du développement de l'aquaculture. La méthode Delphi

Analyse prospective du développement de l'aquaculture. La méthode Delphi

Hishamunda, N.; Poulain, F.; Ridler, N.

FAO Document technique sur les pêches et l'aquaculture. No. 521. Rome, FAO. 2011. 77p.

Afin d'évaluer les principaux obstacles au développement de l'aquaculture dans différentes régions du monde et d'indiquer des alternatives pour son expansion, une analyse Delphi a été mise en œuvre. La méthode Delphi est particulièrement utile pour le secteur de l'aquaculture où on note clairement des discontinuités et où les tendances historiques peuvent ne pas être facilement transposables à l'avenir. La récente expansion globale de l'aquaculture ne continuera probablement pas au même rythme; cependant certaines régions possèdent des stocks de ressources sous exploitées et offrent un potentiel considérable. La méthode Delphi a permis aux experts œuvrant dans les diverses régions d'indiquer les secteurs au niveau desquels le potentiel et les contraintes sont situés; ils ont aussi été encouragés à proposer leurs suggestions sur l'élaboration des politiques.

Les experts dans les pays d'Amérique latine et des Caraïbes se sont montrés particulièrement optimistes quant aux opportunités pour une ultérieure expansion de l'aquaculture dans leur région. Possédant une abondance de ressources naturelles primaires et une demande en produits halieutiques suffisante, leur souci majeur était la pénurie de fonds et de capacités humaines. D'autres régions telles que l'Europe de l'Est étaient moins optimistes du fait de problèmes avec les espèces ou avec des facteurs externes, tels que l'attitude négative du public envers l'aquaculture. Cependant, il a été reconnu dans toutes les régions que l'aquaculture devrait être encouragée. Les raisons à l'appui de cette affirmation étaient la contribution de l'aquaculture à la sécurité alimentaire et à la réduction de la pauvreté ainsi que son rôle dans la réduction de la pression exercée sur les populations naturelles de poissons.

Pour télécharger le document cliquer FAO

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Aquaculture : A la recherche d’une stratégie de développement halieutique...

France : Toujours à la recherche d’un nouvel élan de l’aquaculture !!!

Avec Internet, Ifremer nous ouvre ses bibliothèques à des documents précieux comme la thèse de doctorat de Bernard Gilly sur les systèmes aquacoles en France.

Préparé au département de Stratégies de Développement et d'Aménagement de l'Ifremer, ce document daté de 1987 donne une analyse du développement aquacole de notre pays qui est toujours d’actualité. Une analyse avec un modèle d’aide à la décision que devrait lire tous les décideurs en mal de développement aquacole…

En 1987, Bernard Gilly se posait la question de savoir pourquoi la France n’arrivait pas à développer son aquaculture toujours ancrée dans la conchyliculture « traditionnelle » alors que d’énormes investissements avaient été consacrés à l’aquaculture dite « nouvelle ».

25 ans plus tard, les interrogations de Bernard Gilly sont toujours d’actualité ainsi que les analyses et les réponses apportées dans son document : "Les systèmes aquacoles en France : Analyse du développement de la recherche et modèle théorique d’aide à la décision"

Résumé.

Le secteur des cultures marines en France est souvent assimilé, dans les discours dominants, à l'aquaculture nouvelle (poissons ou crustacés élevés en mer) dont la production reste anecdotique. Dans la pratique, les élevages d'huitres et de moules (aquaculture traditionnelle) représentent un secteur d'activité d'un poids économique équivalent à celui des pêches maritimes.

Les discours dominants, étatiques, corporatistes et scientifiques, sur l'aquaculture nouvelle ont constitué un "paradigme aquacole", pérennisé sous la forme d'un système de représentations idéologiques empruntées à d'autres secteurs (en particulier au secteur agricole). Ignorant l'efficacité, la complexité et le déterminisme des différents systèmes de valorisation aquacoles, ce paradigme repose sur un modèle évolutionniste que l'analyse de l'histoire récente ne permet pas de confirmer.

Les différents résultats montrent que les freins au développement se situent au niveau de l'entreprise, vecteur essentiel d'un développement du secteur. Ils sont liés à la nature et au niveau de l'investissement d'une part, et d'autre part à l'évaluation des risques et incertitudes liés à la dépendance de la production par rapport à 1'environnement et aux imperfections des marchés des produits aquacoles.

Un modèle théorique d'aide à la décision de l'entreprise utilisant la programmation linéaire est présenté, avec un double objectif :

  • obtenir une représentation du comportement général d'une firme aquacole indépendamment de sa ou ses productions, en tenant compte des facteurs de risque et d'incertitude ;
  • permettre l'utilisation ultérieure de ce modèle pour fournir, aux investisseurs, aux organismes d'aménagement et à la recherche, un outil à multiples fonctions : sensibilité des résultats à des modifications de certains facteurs maîtrisés ou non par l'entreprise, faisabilité économique en univers incertain, simulation de l'évolution optimale des entreprises à plus ou moins long terme.
Pour télécharger le document, cliquer archimer.ifremer

Deux extraits de la thèse de Bernard Gilly

L'exploitation des ressources marines vivantes a essentiellement deux composantes : une activité de simple cueillette, la pêche sous toutes ses formes, et une activité de culture marine qui revêt des aspects très différents selon son degré de sophistication. Ces deux composantes ont des caractéristiques communes tant au plan biologique qu'au plan économique : toutes les deux sont des activités économiques basées sur l'exploitation de ressources naturelles renouvelables; toutes les deux utilisent, à des degrés divers, la productivité naturelle du milieu aquatique. L'état d'avancement des travaux économiques est assez inégal pour ces deux secteurs: de nombreuses analyses économiques théoriques et appliquées ont été menées sur la pêche maritime, permettant l'émergence d'un véritable sous ensemble de l'économie des ressources naturelles (dans la réalité, son degré d'avancement la place souvent en position de leader en la matière). Les travaux économiques menés sur les cultures marines n'ont ni cette homogénéité, ni ce degré d'avancement, malgré les questions importantes qui sont en jeu (aménagement du littoral, développement des productions). Ces travaux procèdent généralement à partir de deux types d'approche: une approche agricole ou une approche halieutique, c'est à dire que pour étudier les enjeux de l'aquaculture, on commence par lui retirer sa spécificité en utilisant a priori une approche exogène au secteur.

Notre thèse est qu'il n'existe pas d'aquaculture "nouvelle" qui s'opposerait à l'aquaculture "traditionnelle". Mais une même activité aquacole dont la diversité des mises en œuvre témoigne d'une différence de forme et non de nature : plus ou moins grande dépendance par rapport aux capacités biotiques du milieu, plus ou moins large contrôle des phases du cycle biologique. Ces sont ces critères (et les espèces élevées) qui différencient plus sûrement les types d'aquaculture que leur supposé caractère de nouveauté ou de tradition. Cette dualité erronée s'est pourtant traduite, historiquement, par la séparation des recherches entre organismes : l'Institut Scientifique et Technique des Pêches Maritimes (ISTPM) se consacrait à des recherches très appliquées en conchyliculture, venant en appui d'une profession très structurée depuis de nombreuses années ; le Centre National pour l'Exploitation des Océans (CNEXO) avait développé une recherche de pointe sur les nouvelles formes d'aquaculture et suscitait des développements d'entreprises en s'impliquant directement dans le processus de production et/ou de commercialisation. Au delà des réelles divergences thématiques, ces deux types de recherches traduisaient l'affrontement de deux logiques scientifiques et de deux logiques sociales de l'approche scientifique....

Commentaires

Eric a dit…
Pecheur et aquaculteur sont deux professions distinctes. Embauche par un groupe industrielle, un pecheur peut avoir acces a l`apprentissage et a la structure sans besoin d`etre un investisseur soi-meme...
Il me semble irrealiste de penser que les pecheurs, faute de quotas, vont acheter des concessions en mer, les structures et obtenir des resultats competitifs...
D`autre part, le modele Norvegiens, en comparaison a l`aquaculture familiale, favorise la gestion globale et concerte du cycle d`elevage, ce qui n`est toujours pas le cas au Chili en partie responsable des consequences...La multiplication des petits elevage multiplie les risques enormements, ecologiques, sanitaires et financiers
D`autre part, le desastre Chilien combine manque de reglementations, d`experiences et le nombre d`acteurs. Ce n`est en rien comparable a la situation en Norvege ou en Ecosse ou l`elevage de saumon, en effet industrielle, et reglemente,est gere, encadre et surveille, mais pas encore parfait en effet.
Eric
Aquablog a dit…
Merci pour vos commentaires.

Si en principe pêche et aquaculture sont deux activités distinctes, dans le cadre de la gestion intégrée des zones côtières, les activités de pêche peuvent ressembler à des activités aquacoles. Par exemple : quelle différence entre des pêcheurs de coquilles saint jacques après ensemencement de la zone de pêche en juvéniles (repleuplement) et des ostréiculteurs bretons qui draguent les huîtres sur le fond après ensemencement de naissains ? techniquement aucune. Cependant, les premiers travaillent sur un territoire de pêche commun, les seconds ont chacun une concession.

Les principales sociétés qui élèvent les saumons au Chili, au Canada, en Ecosse et en Norvège sont toutes les mêmes ce sont les norvégiennes comme Marine Harvest, Cermaq,... Une dizaine de sociétés produit près de la moitié du saumon mondial. Pourquoi sont-elles rigoureuses en Norvège et pas au Chili ? (social, environnemental,...)
Malgré celà, certains spécialistes norvègiens prévoient la même catastrophe dans leur pays qu'au Chili...