Les forces de la privatisation du poisson sont en marche !

Quel avenir pour le thon rouge dans cette Europe qui souhaite la marchandisation des ressources en poisson...

Les forces de la privatisation des ressources en poisson sont déjà à l’œuvre alors même que la réforme de la politique commune de la pêche (qui promeut la marchandisation des stocks de poissons), n’est pas encore lancée.

Qu’en sera-t-il dans l'Europe bleue une fois que les puissances de l’argent auront toute liberté d’action sur le marché communautaire des quotas de pêche.... Un beau pactole de plus de 10 milliards d’euros... (1)

Depuis fin juin 2012, les pêcheurs artisans basques et méditerranéens font la pub de leur thon rouge capturé à la ligne... (lire : Thon rouge : Le retour !)

Mais qui peut acheter ce thon rouge au prix de 30 euros le kilo ?

Au moment où la ressource en thon rouge revient, la loi de marché fonctionne à plein... Quelques semaines avant la campagne, les pêcheurs basques (espagnols) ont préféré vendre leur quota à un industriel méditerranéen qui engraisse le thon pour approvisionner le marché japonais plus rémunérateur... Traditionnellement, ces pêcheurs basques écoulent une grande partie de leurs captures sur le marché français.

Une explication de la tension sur les prix !

“Ce qui se passe actuellement, ce n’est vraiment pas normal.” Jean-Michel Lacaze ne décolère pas. Dans la poissonnerie Chez Maité des halles de Bayonne, le commerçant enrage contre l’important déficit de thon rouge en vente à la criée.

Rester à quai avec plus de 3 millions d’euros en poche !

Les pêcheurs du Gipuzkoa (2) ont en effet vendu, avant le début de la saison, 73 % de leurs quotas annuels de thon rouge à un grand mareyeur méditerranéen. Un scandale éthique pour les uns, un acte militant pour une meilleure répartition des quotas pour les autres : l’opération – juteuse pour les thoniers gipuzkoar – divise sur les ports de la côte basque.

“Nous avons cédé 330 dès 450 tonnes des quotas de thon rouge que nous pouvons pêcher à l’entreprise Fuentes.” Leandro Azkue, directeur de la Fédération des corporations de pêcheurs du Gipuzkoa, confirme sans détour la rumeur qui navigue, depuis plusieurs semaines, sur les quais du Pays Basque. Au mois d’avril, les 41 bateaux qui se partagent les quotas de thon rouge en Gipuzkoa ont ainsi collectivement décidé de les vendre à ce grand mareyeur, l’un des leaders de la filière, qui pourra les pêcher en Méditerranée.

La transaction avec le mareyeur Fuentes s’est faite au prix de 10,25 euros le kilogramme. Une “très bonne offre” pour Leandro Azkue, là où l’année dernière, le thon rouge se négociait entre 6,75 et 8 euros du kilo.(Journal du Pays Basque : Quand les thoniers cèdent leurs quotas à un industriel méditerranéen)

Devant le tollé soulevé par cette vente de quota à un industriel du thon rouge (4), les pêcheurs basques le promettent : Ils ne recommenceront pas l'année prochaine... C'est une question de survie !

La mauvaise conjoncture dans la pêche les aurait poussé à céder leur quota. (pour plus d’explications : Con el atún se monta el pollo et Almadrabas gaditanas lamentan la venta de la cuota vasca a una multinacional)

Les dérives liées à la privatisation de la ressource halieutique

Dans un article paru dans Samudra en juillet 2011 « L’esbroufe des Catch Shares » (L’esbroufe des parts de capture), Yann Yvergniaux nous explique qu’en Europe, les récentes tentatives de promotion des Quota individuels transférables (transformés depuis en Concessions de pêche transférables)(3) ne semblent pas tenir compte des dangers potentiels de privatisation des ressources marines.

De l’eau a coulé sous les ponts depuis le début du processus de consultation sur la réforme de la Politique Commune de la Pêche (PCP) en avril 2009. La question des droits individuels transférables, déjà posée par le Livre Vert de la Commission européenne sur la réforme de la PCP, semble s’être progressivement imposée, présentée par ses défenseurs comme la solution incontournable au pire des maux des pêcheries communautaires : la surcapacité, dépeinte de manière simpliste comme un problème de nombre : « trop de bateaux pour trop peu de poissons ».

Dérives

Pourtant, la plupart des expériences en date se sont traduites par la concentration des droits de pêche, menant au leasing des quotas et à divers autres effets pervers.

Avec cette rupture accentuée entre propriétaires des droits absentéistes (souvent appelés en anglais slipper skippers ou armchair fishermen) et pêcheurs effectivement en mer, on distingue mal le lien qui pourrait exister entre la possession des droits et la responsabilisation des opérateurs envers les ressources.

L’argument central des promoteurs des QIT, selon lequel ces droits confèrent des avantages en matière de conservation, ne semble donc pas tenir la route.

L’une des dérives habituellement citées par les détracteurs des QIT est la concentration des droits en un très petit nombre de mains, causant de nombreux effets secondaires dramatiques pour les communautés de pêche. Les parts de capture deviennent littéralement hors de portée des petits pêcheurs indépendants, les plus aisés d’entre eux trouvant même souvent plus rentable de louer à d’autres celles qu’ils parviennent à acquérir.

Par exemple, les membres de la Cape Cod Commercial Hook Fishermen’s Association, basée à Chatham dans le Massachusetts, mettent la plupart de leurs catch shares en leasing à des opérateurs en dehors de leur propre communauté, y compris à des gros chalutiers actifs plus au Nord.

La représentation que nous nous faisons des communautés de pêche, en tant qu’endroits physiques où vivent de réelles personnes, s’en trouve transformée, avec l’apparition de communautés virtuelles qui vont pêcher sur Internet les rendements de leurs quotas.

Le transfert de quotas de la pêche artisanale vers la pêche industrielle peut très rapidement mener à la disparition de milliers d’unités de pêche artisanale, et à un sévère endettement des « survivants ».

Ce fut notamment le cas en Islande dans les années 1980, où la flotte industrielle (chalutiers) a accumulé 70 % des quotas en l’espace de 44 mois, et où un millier de petits bateaux qui avaient été intégrés au système des QIT furent mis à la casse après absorption de leurs quotas par le secteur industriel (voir revue SAMUDRA n° 53, juillet 2009). Afin de maintenir leurs moyens d’existence basés sur la pêche, ces pêcheurs dépossédés sont souvent réduits à une forme de « métayage » ou de « fermage ». La propriété des quotas et les marchés de quotas peuvent également favoriser une spéculation quant à la future valeur de ceux-ci, avec une alternance de phases d’expansion et de contraction du marché, et des effets liés aux emprunts à risque (sub-primes) et aux situations de valeur nette négative (negative equity). Ces effets peuvent lourdement peser sur les pêcheurs, les entreprises de pêche artisanale et les familles de pêcheurs, comme ce fut le cas plus récemment au Danemark (voir revue SAMUDRA n°56, juillet 2010).

(1) estimation à discuter

(2) Pêcheurs basques espagnols écoulent habituellement leur thon rouge sur le marché français

(3) Les Totaux Admissibles de Captures (TAC) de chaque espèce sont répartis en parts de capture. Chaque armement a une part de capture (en %), appelée Quota individuel transférable (QIT). Transférable = Monayable

(4) Un coup-de-poing sur la table : “Il est surprenant que les pêcheurs du Gipuzkoa aient vendu à ce mareyeur espagnol.” Serge Larzabal (Président du comité départemental des pêches de Bayonne) pointe aussi des contradictions éthiques. Fuentes, c’est en effet ce thonier senneur – technique de pêche qui consiste à encercler les poissons à l’aide d’un filet – plus proche de la pêche industrielle que des préoccupations éthiques ou environnementales. C’est ce mareyeur responsable d’un “massacre” en Méditerranée, selon la propre formule employée par Leandro Azkue. C’est, enfin, cet entrepreneur qui utilise le procédé des “fermes marines”. Des “cages” dans lesquelles les thons sont engraissés avant d’être vendus, une méthode fermement combattue par les pêcheurs basques.

Philippe Favrelière (modifié le 4 septembre 2012)

Autres articles :

Pour aller plus loin...

Le mareyeur Fuentes engraisse des thons rouges en Tunisie

Si en France la vente de quotas attribués de pêche au thon ne s'avère pas possible, la loi autorise cette pratique en Espagne. Le mareyeur Fuentes e Hijos ne se prive pas de l’utiliser. Il a également développé un système qui lui permet de jouer avec d’une part l’activité de pêche et d’autre part celle d’élevage. Il a acquis une ferme aquacole en Tunisie, où le thon capturé peut être engraissé, pour être vendu plus tard. Ceux qui, comme le groupe Fuentes, pratiquent l’élevage au Sud de la méditerranée, peuvent se jouer des règles de l’Union Européenne, qui interdit la capture après la mi-juin.

Pour les thoniers strictement européens, la situation est plus difficile. Ainsi au printemps dernier, la Commission Européenne avait pu sonner la fin de la saison de pêche au thon dès le 14 juin, un mois à peine après son lancement. Les quotas annuels, en baisse, de 5 756 tonnes pour les pêcheurs européens, avaient été atteints. Au Sud, la pêche s’était poursuivie encore 15 jours, alimentant les étals et les fermes aquacoles, où, soupçonnent beaucoup, plus de poisson sort qu'il n'en entre officiellement. D'après Econostrum : Un mareyeur espagnol contourne les quotas de pêche au thon

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Thon rouge : Tunisiens et Libyens échappent aux contrôles ! (Espace Manager)

Au moment où la plupart des thoniers-senneurs de l'Union européenne (UE) ont dû cesser la pêche le 16 juin , Bruxelles jugeant les quotas presque atteints, les flottes libyenne, turque ou tunisienne, en fort développement, ont pu poursuivre jusqu'au 30 juin, date de fermeture décidée par la Commission internationale pour la conservation des thonidés (Iccat), organisme regroupant les pays impliqués dans la pêche au thon rouge.

Dans un article paru au journal français le Point, Un remorqueur italien, Michele Trinca, croisé en mer explique la situation.

Ce dernier, abritant une marchandise de 10 tonnes de thons rouges vivants, dit transporter cette cage, qui a été pêché par des libyens les 25 et 27 Juin, vers la Tunisie, à Mahdia*, où les thons rouges seront engraissés avant d'être vendus à bon prix à des groupes japonais pour confectionner sushis et sashimis.

Le remorqueur a même accepté de montrer à des journalistes et à l'équipe de Greenpeace, qui effectue une mission de surveillance, les documents sur la cargaison de ce poisson menacé par la surpêche.

Certes, tous les pays, sans exceptions, doivent se conformer aux règlements de l'Iccat sur les déclarations de captures et les quotas, mais ceci passe avant tout par une prise de conscience des professionnels des conséquences que pourrait engendrer le phénomène de la surpêche du moment où leurs contrôles ne sont pas sans faille.

Enfin, ce cas de surpêche concerne une cargaison de thons rouges passant de la Libye à la Tunisie mais il ne faut en aucun cas croire que c'est un cas isolé dans les pays impliqués dans la pêche au thon rouge.

E.M

* Le mareyeur qui a acheté ce thon et qui contrôle la ferme de Mahdia est le groupe espagnol "Fuentes i hijos".



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