Afrique de l’Ouest : Réserves marines sous contrôle étranger ?

Des Imraguen du banc d’Arguin aux pêcheuses d’huîtres de mangrove du Saloum, les activités halieutiques d’Afrique de l’Ouest ne seraient-elles pas déterminées en fonction de critères principalement environnementaux ?

Dans les années 1970-80, la pêche a connu un très grand développement en Afrique de l’Ouest. Après trois décennies de croissance mal maitrisée, le secteur halieutique est maintenant en crise. En réponse, les organisations environnementales internationales ont « poussé » les autorités africaines à créer un réseau de réserves naturelles côtières, fustigeant la surexploitation de la ressource en poisson.

En Afrique de l’Ouest, l’histoire des zones marines protégées a débuté en Mauritanie et plus précisément au Banc d’Arguin. Sur demande de Théodore Monod, le grand spécialiste français des déserts, la Mauritanie a créé en 1976 le Parc National du Banc d'Arguin (PNBA). Ce parc s’inscrivait dans la pure lignée des grandes réserves naturelles africaines à la différence près qu’il s’étendait en partie sur une zone marine. En effet, cette réserve naturelle couvre le tiers du littoral mauritanien pour une surface de 11.700 km2 (près de la moitié d’une région française comme la Bretagne). La priorité d’alors était de protéger une vaste zone de reproduction non pas de poissons, mais d’oiseaux migrateurs d’Europe et d’oiseaux endémiques. A l’image des parcs tanzaniens et kenyans avec ses éleveurs Massaï, le PNAB encouragea aussi les pêcheurs Imraguen, à continuer à pêcher le mulet selon leur technique « ancestrale », une pêche à pied au filet d’épaule, devenue emblématique de ce groupe, et mobilisant des savoirs naturalistes singuliers.

Les Imraguen, la « couleur locale » du Parc National du Banc d’Arguin, en marge du contexte halieutique

Tout le monde a en mémoire les images filmées de ces pêcheurs Imraguen qui se débattaient avec leurs filets à l’épaule au milieu de mulets virevoltants. Jusqu’à la fin des années 1970, les Imraguen étaient la seule communauté maure à pratiquer la pêche en mer dans ce pays foncièrement nomade.

Ces images idylliques de l’homme en symbiose avec l’océan masquaient une réalité halieutique africaine tout autre. A cette époque-là, les zones de pêche de Mauritanie et plus largement celles d’Afrique de l’Ouest étaient l’enjeu d’intérêts économiques (et même sociaux) très importants. Elles étaient doublement convoitées, par les flottilles industrielles étrangères et par les flottilles piroguières africaines.

Le contexte halieutique en Afrique de l'Ouest

Les eaux de l’Afrique de l’Ouest font partie des zones océaniques les plus poissonneuses du globe. La présence d’un upwelling le long des côtes du Sénégal et de la Mauritanie est la principale raison de cette richesse halieutique. Les flottilles de pêche du monde entier exploitent depuis le milieu du siècle dernier les différentes ressources en poissons, crustacés et mollusques. Poussés à l’exode, les ruraux sont venus gonfler le nombre des pêcheurs dans toutes les communautés littorales. Si le Sénégal est un pays traditionnel de pêche, ce n’est qu’à partir des années 1970 après les grandes sécheresses sahéliennes que la Mauritanie a commencé à s’intéresser à ses ressources halieutiques en tant qu’alternatives économiques.

La Commission Sous Régionale des Pêches (
CSRP), une institution intergouvernementale chargée de coordonner le développement de la pêche dans sept états membres : le Cap Vert, la Gambie, la Guinée, la Guinée Bissau, la Mauritanie, le Sénégal et la Sierra Leone, rappelle que la pêche est une activité déterminante en Afrique de l’Ouest. L’ensemble des Zones Economiques Exclusives couvre 1.500.000 km2 pour une production totale du secteur de la pêche maritime estimée à 1,4 million de tonnes chaque année.

« Le secteur de la Pêche est un secteur de première importance pour les pays de la CSRP. Ce secteur contribue de façon majeure au développement économique et social des pays de la sous-région (création d’emplois, alimentation, exportations). Le nombre total d’emplois de ce secteur est estimé à 500 000 emplois dont 130 000 pêcheurs artisans. Plus de 30 000 pirogues et 700 navires industriels, dont une grande partie opère dans le cadre d’accords de pêche avec des nations étrangères (Union Européenne, Chine et autres), pêchent dans les ZEEs des Etats de la CSRP. »

La FIBA étend son emprise sur l’Afrique de l’Ouest

« Le Parc National du Banc d’Arguin a une notoriété internationale qui lui garantit un réseau de soutiens mondial » a annoncé le Dr Luc Hoffmann lors de la cérémonie officielle des 30 années du PNBA à Nouakchott (2006). Docteur en biologie, Luc Hoffmann, appuie activement le PNBA depuis la création en 1986 de la Fondation Internationale du Banc d’Arguin (FIBA). Sinon, Luc Hoofmann n’est pas un inconnu dans le monde des organisations internationales environnementales. En 1961, il a participé à la création de WWF International dont il a été vice-président jusqu’en 1988. Président du conseil d'administration du WWF-France, il est aussi le créateur de la station biologique de la Tour du Valat, 2 500 hectares de réserve naturelle en Camargue.

Forte de son expérience à travers le Parc National du Banc d’Arguin, la FIBA a ensuite étendu son aire d'intervention à tout le littoral ouest africain en s’appuyant ou en collaborant avec d’autres organisations internationales non gouvernementales intervenant dans cette région à savoir, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN), le Fonds Mondial pour la Nature (WWF) et Wetlands International.

Au début des années 2000, la FIBA a contribué à la construction d’un système de gouvernance à l’échelle régionale qui s’est concrétisé en 2004 par la mise en oeuvre du Programme Régional pour la Conservation de la zone Côtière et Marine en Afrique de l'Ouest (PRCM). En partenariat avec la Commission sous-régionale des Pêches (CSRP), le PRCM s'est fixé comme objectif de coordonner les efforts et les relations entre les quatre organisations internationales sus-citées, en faveur de la conservation du littoral dans sept pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest : Mauritanie, Sénégal, Gambie, Guinée Bissau, Guinée, Sierra Leone et Cap vert.

En 2007, le PRCM est à l’initiative du Réseau des Aires Marines Protégées d’Afrique de l’Ouest (Rampao) qui regroupe une quinzaine d’AMP créée après le Congrès mondial des aires protégées de l'UICN à Durban en 2003.

Des parcs nationaux aux aires marines protégées….

Au Sénégal, les femmes qui récoltent traditionnellement les huîtres de mangrove dans le delta du Saloum, n’ont pas eu la « chance » des pêcheurs traditionnels mauritaniens. Contrairement, aux Imraguen qui poursuivent leur activité de pêche dans le Parc national du Banc d’Arguin, les femmes du Sine Saloum n’ont plus accès aux zones de mangrove situées à l’intérieur de l’Aire Marine Protégée de Bamboung où toutes activités de pêche, de cueillette et de chasse sont prohibées depuis sa création en 2004.

Après la mise en place des premiers parcs nationaux marins en 1976, la position des associations environnementales ne se serait-elle pas radicalisée avec la politique de sanctuarisation des espaces côtiers et marins dans le cadre des aires marines protégées (AMP) ?

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Le 9 février 2012

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La nature apporte une richesse aux habitants de l'île de Karabane : les huîtres de mangrove, dont on fait grand usage, même lorsqu'elles ont été consommées.

Commentaires

Anonyme a dit…
Votre paragraphe final mériterait d'être complété car, si les faits ne sont totalement faux, ce qu'ils laissent entendre l'est. Ce sont les villageois qui ont choisi le bras de bolong faisant objet d'une interdiction de pêche pour l'AMPc du Bamboung. Ce sont ces mêmes villageois qui ont augmenté leurs revenus liés aux huitres en passant de la vente d'huitres séchées à la vente d'huitres fraiches, activité beaucoup plus rentable et proposée par la même réflexion qui a amenée la création de l'AMPc. Depuis la création de l'AMPc les prises des pécheurs à la sortie du bolong ont beaucoup augmentées donc leur revenu. Et je ne parle pas des revenus pour les villages liés au campement touristique mis en place. Sans dire qu'aucune aire protégée en Afrique de l'Ouest n'a été faite sans l'implication des populations locales, l'exemple du Bamboung est il me semble à l'exact opposé de ce que vous semblez dire. C'est un projet avec et pour les populations locales. Un exemple cité par beaucoup.
Aquablog a dit…
Bonjour,
Merci pour vos commentaires….
Vous m’obligez à parler d’Océanium dès maintenant, une association environnementale purement sénégalaise contrairement aux autres associations. Je ne conteste pas le travail exemplaire d’Océanium autour de l’AMP du Bamboung (sensibilisation des populations locales à l’environnement, développement de l’éco-tourisme, valorisation d’un milieu exceptionnellement « beau » et reconnaissance de ses villageois qui ont le mérite d’avoir su préserver cette zone de mangrove au cours des générations, etc….).
Ce que je conteste, et je ne suis pas le seul, c’est le caractère « réserve intégrale » des 5 AMP mises en place en 2004 au Sénégal. Comme l’AMP de Bamboung est la seule à fonctionner réellement, je l’ai pris en exemple avec ses femmes qui récoltent les huîtres de mangrove.

Dans la Baie de Paranagua au Brésil, une zone de mangrove comparable à celle du delta du Saloum, les villageois n’ont pas été interdits de pêche dans l’APA de Guaraqueçaba. Des plans de gestion de pêche avec fermeture et ouverture ont été mise en place, type d’engins de pêche. Concernant les femmes ramasseuses d’huîtres de mangrove, des dates et des tailles minimales ont été fixées avec interdiction de couper les racines de palétuviers…..
La participation des communautés villageoises à une AMP, c’est aussi la mise en place de plan de gestion communautaire de l’exploitation de la ressource halieutique…

Philippe Favrelière
Anonyme a dit…
Et bien nous sommes d'accord sur l'importance de la participation des communautés.

Communautés qui ont choisies elles-même d'interdire telle activité ou pas sur l'AMPc (c pour communautaire) du Bamboung.

L'Oceanium travaille également sur du reboisement de mangrove et un de ses représentant disait semaine dernière que l'on pourrait très bien envisager de reprendre l'exploitation du bois de palétuvier ... quand celle-ci sera possible de manière raisonnée. Pas de sujet tabou, d'interdiction "aveugle".

Et concernant votre exemple de Paranagua, je pense que vous retrouverez des éléments pas très éloignés de ce que vous décrivez dans ce qui a été fait en 2006 (et continu d'être fait) :
http://oceanium.blogspot.com/2006/08/formation-des-femmes-en-casamance.html