Nigeria : la pêche engluée dans le pétrole

Depuis quelques mois, l’industrie de la pêche nigériane subit de plein fouet le contrecoup de la hausse du prix du gasoil. Des entreprises ferment et les poissons, chers, se font plus rares sur les étals et dans les assiettes. Moins de pétrole, moins de poissons : les finances nigérianes souffrent aussi.

Couchés à même le sol non loin des remorqueurs, les yeux rivés au ciel, Balarabe Usman et Valentin Obi sont visiblement inquiets. Ces deux ouvriers nigérians craignent de ne jamais retrouver leur emploi après l’arrêt en mai dernier des activités de leur entreprise, la compagnie privée de pêche Karflex Nigeria Ltd. "Si le prix ne baisse pas, je risque de me retrouver au chômage avec, sur les bras, quatre enfants et une femme à nourrir !", se lamente le Valentin Obi, la cinquantaine. "Il ne faut pas rêver, nous sommes déjà au chômage parce que le prix du gasoil ne va pas baisser de sitôt au Nigeria ! rétorque son compatriote. Leurs propos résument le sentiment de la plupart des travailleurs des pêcheries qui traînent souvent sur le port d’Apapa, au sud-ouest de Lagos, dans l’espoir, toujours déçu, de voir les 115 chalutiers (sur les 280 enregistrés), à quai depuis des semaines, reprendre la mer. Au Nigeria, comme ailleurs, la crise des pêcheries s'explique par l’escalade des prix du gasoil qui a presque triplé dans certaines stations du pays, passant de 70 nairas (0,42 €) le litre en 2006 à 200 nairas (1,21 €) aujourd’hui. Alors que la crise financière actuelle a récemment fait chuter le baril de brut à 80 $, contre 140 $ en juillet dernier, les Nigérians doutent de voir rapidement les prix baisser à la pompe, accusant un cartel d'importateurs de ne pas répercuter dans le pays les baisses de prix enregistrées au niveau international. Selon l’économiste nigérian Yunus Oladeinde, un autre facteur contribue à la flambée du prix du gasoil. La chute de la production de l’énergie électrique contraint la plupart des Nigérians à recourir aux groupes électrogènes qui marchent au gasoil. La consommation de ce carburant est passée de près de 7,5 millions de litres par jour en 2007 à 10 millions de litres en septembre dernier, soit une augmentation de plus de 33 % en un an. Le conflit dans le delta du Niger (au sud), une région grosse productrice d’hydrocarbures, et les sabotages répétés des unités de production par certains mouvements séparatistes n’ont pas arrangé les choses. La production nationale de gasoil par les raffineries de Kaduna (au nord) avec 1,8 million de barils de produits raffinés par jour et Warri (au sud) avec 3 millions de barils se révèle insuffisante pour satisfaire la consommation. L'État nigérian comble le déficit en s'approvisionnant en produits raffinés sur le marché international, au prix fort.

Un déficit chronique

Ces dysfonctionnements du marché des hydrocarbures frappent de plein fouet l’industrie de la pêche, très gourmande en carburants. Notre chalutier consomme près de 30 000 litres de gasoil par jour, estime Lawal Azeez, gérant de la société Atlantic Shrimpers Ltd. "Faites le calcul et vous comprendrez pourquoi l’industrie de pêche est moribonde", martèle-t-il. Certaines entreprises ont déjà mis la clé sous le paillasson. C’est le cas de la Manucom fishery company Ltd dont la fermeture a privé 80 salariés de leur emploi. Au total, près de 80 000 emplois du secteur sont menacés.Autre conséquence de cette crise énergétique, les prises ont fortement baissé depuis un an entraînant par ricochet une pénurie de poissons sur le marché local. En 2007, la production des compagnies de pêche avait été de 600 000 t de poisson, selon Broad Street, la Revue hebdomadaire sur l’économie au Nigeria, alors que la consommation annuelle avoisine le million de tonnes. Ce déficit chronique a fait plus que doubler le prix du poisson sur le marché local. Le kilo qui se vendait 60 nairas (0,36 €) il y a deux ans coûte de 120 à 150 nairas (0,73 à 0,91 €) aujourd’hui. Pour pouvoir continuer malgré tout à manger du poisson ou à en vendre sur les marchés locaux, de plus en plus de gens se tournent vers l’aquaculture, en installant des viviers dans les cours d’habitations.

La fin des subventions

L’annonce en juin 2008 par le gouvernement de la suppression des subventions sur les produits pétroliers à partir du 1er janvier 2009 n'est pas de nature à rassurer les entreprises du secteur de la pêche. Ces subventions avaient été accordées en 1999 par l'ancien président Olusegun Obasanjo dans le souci d’atténuer la souffrance des populations. En 2004, elles représentaient 50 % du prix du carburant à la consommation. "Entre janvier et juin 2008, ces produits [pétroliers] ont été subventionnés à hauteur de 700 milliards de nairas (4,26 milliards €) par des réserves en devises étrangères du pays", précise le secrétaire d’État à l’Énergie, Odein Ajumogo. C’est un fardeau pour le gouvernement."Pour sortir de sa situation paradoxale de géant pétrolier chroniquement déficitaire en carburants, le Nigeria cherche à accroître sa capacité de raffinage. Des négociations sont en cours avec des investisseurs privés pour réhabiliter ses 4 raffineries (Warri, Kaduna et Port-Harcourt sud et nord) et en construire d’autres. D'ici là, le secteur de la pêche risque de payer un lourd tribu à la crise avec à la clé un manque à gagner de plusieurs millions de nairas pour l’économie nigériane.
Source : SYFIA

Autre article :

Le 27 juin 2010

A des milliers de kilomètres de la Louisiane, un autre golfe agonise dans l’indifférence
Nigeria : 50 ans de marées noires dans le delta du Niger (cdurable)
Premier producteur de pétrole brut du continent africain, le Nigeria ne compte plus les marées noires qui ont ravagé son delta. Cet ancien sanctuaire écologique, qui a nourri les populations pendant des siècles, est devenu impropre à la pêche, en raison de l’or noir devenu poison. En mai 2010, au moment où la fuite dans le golfe du Mexique faisait les gros titres de la presse mondiale, à l’autre bout du monde, une énième rupture d’oléoduc provoquait également une marée noire. Selon Amnesty International, en 50 ans, 9 millions de barils de brut se sont déversés dans le delta du Niger. La marée noire dans le golfe du Mexique est certes plus importante encore - 30 millions de barils se sont déjà échappés du puits de BP - mais la couverture médiatique des deux événements semble tout de même complètement disproportionnée.
L’affaire commence à être enfin médiatisée depuis que le New York Times publie à sa une, le 16 juin dernier, un reportage édifiant sur la situation dans le Delta du Niger : "Plus rien de vivant ne bouge dans un monde noir et brun autrefois grouillant de crevettes et de crabes [...]. Les pêcheurs maudissent leurs filets de pétrole [...]. De jeunes enfants nagent dans l’estuaire pollué [...]. Le marais est désert et silencieux, sans même un chant d’oiseau." The Guardian précise de son côté : "Il est impossible de mesurer la quantité de pétrole répandu dans le delta du Niger chaque année, car les pétroliers et le gouvernement veillent à ne pas divulguer l’information. Cependant, si l’on en croit deux grandes enquêtes indépendantes réalisées ces quatre dernières années, il s’en déverse autant par an dans la mer, dans les marais et sur terre que ce qui a fui dans le golfe du Mexique jusqu’à présent… Selon un rapport publié en 2006 par le World Wide Fund (WWF) Royaume-Uni, l’Union internationale pour la conservation de la nature et la Nigerian Conservation Foundation, jusqu’à 1,5 million de tonnes de brut – soit cinquante fois la marée noire provoquée par le pétrolier Exxon Valdez en Alaska – se sont déversées dans le delta durant le demi-siècle écoulé. En 2009, Amnesty International a calculé que ces fuites ont représenté l’équivalent d’au moins 9 millions de barils. L’organisation accuse les géants de l’industrie de violer les droits de l’homme. Les autorités nigérianes ont recensé officiellement plus de 7 000 marées noires entre 1970 et 2000, et 2 000 grands sites de pollution, la plupart touchés depuis plusieurs décennies. Des milliers d’autres, plus petits, attendent toujours un hypothétique nettoyage. Plus d’un millier de procès ont été intentés rien que contre Shell".....

Le 24 août 2010

Nigeria : le rapport de la discorde (Jdle)

Selon un rapport non encore publié par le Pnue, l’essentiel de la pollution pétrolière du delta du Niger est imputable aux populations locales. Il n’est pas encore paru qu’il fait déjà polémique. Commandité par le gouvernement nigérian, payé par les compagnies pétrolières et réalisé par le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), l’audit environnemental de l’industrie pétrolière du plus grand pays d’Afrique fait jaser. Et pour cause. Ne devant paraître qu’à la fin de l’année, ce rapport tant attendu a été, en partie, dévoilé dimanche 22 août par nos confrères du Guardian. Dans son édition de lundi, le quotidien londonien indique que, sur les 9 à 13 millions de barils qui souillent depuis 50 ans les sols, les eaux et la mangrove de la région pétrolifère du delta du Niger, seuls 10 % sont directement imputables à l’industrie pétrolière. Les 90 % restant seraient le résultat des vols d’hydrocarbures et des sabotages d’installations pétrolières.

L’estimation en fait bondir plus d’un.…..

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Le 9 août 2011

La mangrove détruite par le pétrole dans le Delta du Niger (WRM)

La mangrove est un écosystème riche et fragile qui dépend d’autres écosystèmes voisins: les fleuves et les marais salants. À son tour, la santé de la mer et des récifs coralliens dépend de la santé de la mangrove. Tout est connecté.

La mangrove est aussi très importante pour beaucoup de populations humaines qui habitent autour d’elle et qui l’utilisent de diverses manières, pour assurer leur souveraineté alimentaire grâce aux fruits de mer, pour satisfaire leurs besoins de logement grâce au bois pour la construction de maisons et de poteaux, et pour gagner leur vie grâce à ses divers produits. Ces communautés ont toujours maintenu des rapports durables avec l’écosystème, qu’ils ont exploité à petite échelle pour subvenir à leurs besoins, connaissant profondément ses multiples fonctions. Les femmes en ont été les principales responsables.

Bien que les mangroves soient très importantes pour l’environnement et pour les gens, elles sont la cible d’activités à grande échelle, comme l’extraction de pétrole.

Un document d’Oilwatch sur l’impact des activités pétrolières sur les mangroves [1] souligne qu’elles commencent par comporter leur déboisement pour la construction d’installations, telles que derricks, campements, puits, routes, hélistations, etc. La zone est dévastée aussi par les forages qui impliquent de draguer les canaux existants pour les élargir et les approfondir, ou d’en creuser de nouveaux. Plus le canal est large et profond, plus l’écosystème est endommagé. La construction de ces canaux modifie le régime hydrique naturel des mangroves et les rend plus vulnérables à l’érosion, en modifiant le volume d’eau douce et le volume d’eau de mer dans et autour d’elles ; ceci perturbe le système de drainage, la végétation et le sol. Ces perturbations peuvent, à leur tour, causer des modifications du pH du sol et de l’eau, susceptibles de provoquer une détérioration considérable de la qualité des mangroves.

La présence de pétrole dans les mangroves, par suite d’accidents, du nettoyage des puits ou de déversements, produit une forte pollution qui peut rester dans la région pendant beaucoup d’années.

Au Nigeria, de grandes étendues de mangrove du Delta du Niger ont été endommagées par les déversements de pétrole qui se produisent régulièrement. À ce qu’on dit, 1,5 million de tonnes de pétrole y ont été déversées au cours des 50 dernières années.

La destruction des mangroves pour l’extraction de pétrole n’a apporté aucun bénéfice aux communautés rurales nigérianes : l’espérance de vie est tombée à 40 ans en l’espace de deux générations ; la disponibilité d’eau propre est très limitée ; les terres agricoles ont été endommagées ; l’eau superficielle et potable a été polluée et les poissons ont été ravagés par le pétrole graisseux qui coule toujours de l’un ou l’autre des oléoducs qui, par centaines, traversent des zones très urbanisées et côtoient les champs et les étangs poissonneux. Ces oléoducs sont là pour satisfaire les besoins en pétrole des États-Unis : 40 % des importations de brut de ce pays proviennent du Delta du Niger.

« Nous avons perdu nos filets, nos cabanes et nos nasses », « Nous avons perdu notre forêt », a dit le chef Promise, leader villageois d’Otuegwe, à John Vidal, rédacteur environnemental de The Observer, au cours d’un voyage [2] à l’endroit où, en 2008, l’explosion d’un oléoduc avait tué une centaine de personnes. Marchant dans le marais, le journaliste a pu sentir l’odeur de pétrole et il a fini par nager dans des étangs de brut. Il rapporte les plaintes du chef Promise : « Nous avons prévenu Shell du déversement au bout de quelques jours, mais ils n’ont rien fait pendant six mois ».

Des déversements de pétrole tragiques ont eu lieu au Delta du Niger mais, n’ayant pas fait la une des journaux, ils sont passés presque inaperçus. Pourtant, la quantité de pétrole déversé l’année dernière dans le Golfe du Mexique après une explosion dans le Deepwater Horizon de BP était moins importante que celle qui fuit chaque année du réseau de terminaux, de pipelines, de stations de pompage et de plateformes pétrolières du delta.

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