Méditerranée : les prud'homies ont fait leur preuve

Pour une gestion opérante des pêches aux petits métiers et des territoires en Méditerranée : une gestion prud’homale collective qui préserve la polyvalence des pêcheurs, est la seule adaptation possible aux conditions environnementales locales

Les prud’homes ont expérimenté et testé de longue date une gestion locale des pêches sensiblement différente de ce qui se fait plus généralement sur d’autres façades, telle l’Atlantique où des stocks plus abondants permettent de spécialiser les pêcheurs dans plusieurs métiers, par des licences individuelles. C’est en facilitant et favorisant la polyvalence des pêcheurs exerçant différents petits métiers relativement sélectifs que l’organisation prud’homale parvient à gérer l’activité de la communauté, tout en préservant les conditions de renouvellement des ressources et des territoires. Chacun, compte tenu de son savoir-faire et de son équipement, s’oriente jour après jour vers les espèces les plus abondantes et les plus accessibles, selon les saisons et vers les produits les plus prisés, ou les plus rares, sur le marché local. Les nombres, dimensions, temps, périodes et zones de calage des engins sont réglementés, parfois même les ordres de calage (postes de pêche), afin « d’éviter qu’un métier n’en chasse un autre » et que « tout le monde puisse vivre de son métier » sur des territoires parfois très exigus (absence de plateau continental).
Par ces droits d’usage, la Prud’homie privilégie l’acquisition de savoir-faire et de matériel pour des métiers différents plutôt que la spécialisation pour la pratique intensive d’un, deux ou trois métiers. Par cette pratique alternative, il est possible de « laisser reposer une espèce ou une zone » et de préserver certaines frayères.

La coexistence inopérante de deux structures de représentation professionnelle
Ce système des prud’homies de pêche, expérimenté au cours des siècles pour gérer la pêche et les territoires au plus près des communautés de pêcheurs est resté en vigueur. Mais ce sont les comités des pêches qui sont chargés de la mise en place d’une gestion régionale et nationale, en lien avec la politique commune des pêches. La coexistence actuelle de ces deux structures de représentation professionnelle, sans qu’aucun lien institutionnel ne soit prévu entre les deux, est inopérante la plupart du temps, et génère des pertes de temps et d’énergie alors que le contexte actuel nécessiterait une grande synergie de la profession.

Un exemple significatif
Un exemple récent illustre bien cette dichotomie entre, d’une part, la mise en place d’une réglementation régionale, sur la base de licences individuelles et de mesures techniques généralisées, et la gestion prud’homale définie en fonction des circonstances locales. Le comité régional des pêches du Languedoc-Roussillon fait, à la demande de l’UE, un plan de gestion pour la pêche à l’anguille, avec un système de licences individuelles payantes et des mesures techniques uniformes pour le Golfe du Lion. Le règlement proposé (arrêt de la pêche trois mois dont un en hiver…) peut convenir à une prud’homie mais pas aux autres.

La Prud’homie de Gruissan doit adapter la pêche à des conditions environnementales particulières : des étangs étendus et très peu profonds, des vents et des courants violents et fréquents, un fond sableux peu propice à l’ancrage des engins de pêche. Elle arrête la pêche à l’anguille six mois par an, en période chaude, pour préserver cette espèce fragilisée par la chaleur, et par respect du marché (forts risques de maladie des anguilles en été). La pêche est focalisée sur le mois de novembre, seule période de dévalaison des anguilles matures alors que celle-ci peut se prolonger sur les mois d’hiver dans les étangs plus profonds. Les pêcheurs exercent d’autres métiers, en étang et en mer. Compte tenu des conditions météorologiques (c’est la zone la plus ventée du Golfe du Lion), il leur est plus aisé de travailler en mer en période estivale, qu’au mois de février. Enfin, la Prud’homie, pour ajuster le travail des hommes à cet environnement particulier organise des barrages communautaires qui permettent de concentrer et retenir les poissons sur des zones plus restreintes. Ces barrages constitués par l’alignement de filets seraient efficaces à 50% environ, les poissons profitant de la moindre brèche. Dès que le vent souffle, le courant et la nature des fonds ne permettent pas la pêche aux abords de ces rétrécissements naturels (comme cela se fait ailleurs). Cette gestion suppose le tirage au sort des postes de pêche par les pêcheurs, le contrôle de la mise en place et du maintien des barrages (des commissaires sont nommés à cette fin), le contrôle des engins, la résolution des conflits éventuels, l’affinement de la réglementation si nécessaire… au final toute une organisation assurée bénévolement par les prud’hommes et prise sur leur temps de travail. Le règlement proposé par le comité régional des pêches, examiné du point de vue de Gruissan, est dommageable :
- pour la ressource et l’environnement (pêche des anguilles en période chaude),
- pour le produit (risque de maladie),
- pour les hommes (risques de travail en mer en hiver, manque à gagner dans l’étang à cette période…)
- pour l’organisation (déplacement d’une gestion collective locale à une gestion des individus par un organisme régional externe à la communauté des pêcheurs, déni du travail prud’homal local effectué bénévolement par les prud’hommes au profit d’un organisme externe, perte progressive du sens collectif, du respect du travail des autres pêcheurs, des moyens de contrôle de la Prud’homie…).
La prise en compte des modes de gestion prud’homaux dépend du bon vouloir des délégués aux comités des pêches, de leur connaissance précise des fonctionnements prud’homaux et de leur engagement à comprendre et défendre ce mode de gestion collective au plus près des spécificités locales… (Collectif Pêche et Développement)

Source : Droits du jour du 16 octobre 2008 (Newsletter de la Société civile à la conférence de la FAO à Bangkok sur la pêche à petite échelle)

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